" Cette France là n'est ni d'en bas ni d'en haut, ni droite ni de gauche, elle est d'ailleurs. Elle s'est installée de l'autre coté du Rhin, de la Manche, de l'Atlantique ou de la Méditerranée. Jamais il n'y a eu autant de Francais à l'étranger. Ils sont aujourd'hui 2,5 millions à avoir fait leurs valises pour une vie hors des frontières. Ce phénomène migratoire, en constante progression depuis le début des années 2000, est en quelque sorte un rattrapage naturel. Comparés à leurs voisins britanniques, allemands ou italiens, les Francais se montraient jusque là peu aventuriers et très accrochés à leur "Douce France".
À l'heure de l'Europe élargie et de la globalisation, la France aurait pleinement pris conscience de la nécessité de planter un drapeau tricolore aux quatre coins de la planète. Les expatriés seraient ainsi les ambassadeurs du génie créatif français. Cette lecture positive du phénomène contredit l'image d'une France pusillanime et adepte du repli sur soi.
On peut aussi avancer une autre explication, moins angélique : cette soudaine humeur voyageuse trahirait un malaise grandissant. Les Francais seraient de plus en plus nombreux à "fuir" un pays ne leur offrant que peu d'opportunités. Pour beaucoup, l'émigration prendrait des allures d'exil. Qu'ils soient chomeurs, non diplomés, étudiants, jeunes issus de l'immigration, chercheurs, enseignants, artistes, ingénieurs, cuisiniers, financiers, entrepreneurs..., ces Francais de l'étranger auraient déserté une terre percluse de blocages, d'archaismes et de sinistrose, dans l'espoir de trouver ailleurs du travail et de meilleurs salaires.
Contradictoires en apparence, ces deux visions ne sont pas forcément irréconciliables. Un départ à l'étranger à l'étranger peut, à la fois, participer d'un élan positif et constituer une fuite.
Passer plusieurs années hors des frontières peut changer profondemment la vision que l'on a de son propre pays. L'éloignement géographique s'accompagne alors d'une prise de distance presque anthropologique par rapport à sa patrie. Ce qui paraissait naturel hier semble soudainement étonnant, frustrant ou, au contraire, formidable.
Cette redécouverte de la France peut donner l'impression (et peut-etre l'illusion) d'une plus grande clairvoyance. Les expatriés ont parfois la faiblesse de penser qu'ils ont mieux compris que leurs compatriotes de l'intérieur ce qui ne tournait pas rond dans l'Hexagone. Sur cette vieille République qui patauge dans la mare stagnante de ses certitudes, la tribu disparate des Francais du dehors peut tenir des propos plus durs encore que les "déclinologues" les plus pessimistes. Leur diagnostic est souvent sombre, sévère, dérangeant, parfois injuste, et à coup sur irritant pour tous ceux qui voient les "expats" comme de prétentieux donneurs de leçon. "
extrait de "France je t'aime, je te quitte" de Christian Roudaut, Fayard Document (ouvrage à recommander !!!)